Entre les formes
Toute tentative de discerner ce qui dans une œuvre procède
du figuratif ou de l’abstraction est vaine recherche. «Tout est abstraction
ou figuré et l’art n’est grand que si la présence vivante du créateur
s’impose»; cette assertion de Nicolas de Staël s’applique parfaitement
à la sculpture de Karl- Heinz Diegner. Certes, le corps féminin est sa
première source d’inspiration, mais c’est moins le corps qui l’intéresse
que ce qu’il suggère, ce qu’il suscite en nous : admiration, attirance,
émotion, désir, tendresse, peur… ?
Ce n’est pas le corps féminin qui l’obsède mais la féminité ; ou, plus
encore peut-être, la sensualité. Et qui y a-t-il de moins figuré que
la sensualité, d’ailleurs aucune des sculptures n’a de visage ; il nous
en dirait trop ? Sous son regard perçant et appliqué et sous ses mains
complices, ces corps prosternés se relèvent, ces bustes assoupis se galbent,
ces hanches arrondies se livrent. En les effleurant, il les sublime.
En les empoignant, il les révèle.
Entre les lignes.
C’est généralement aux écrivains que l’on accorde une lecture sous-jacente
de leur oeuvre, pour découvrir ce que les mots n’ont pas totalement
révélé ; parfois l’essentiel.
Là encore, il m’apparaît que cette lecture «entre les lignes» est précisément
adaptée aux sculptures de Karl-Heinz. Arêtes acérées et courbes alléchantes
ne nous livrent pas immédiatement leurs secrets : dans le pas de deux
que leur accorde
la lumière, et selon les humeurs vagabondes
de celle-ci, des formes insoupçonnées apparaissent,
des volumes improbables se manifestent,
des mouvements imprévus se mettent en marche… Ephémères mais enrichissantes
révélations.
Autrement dit, un seul regard ne peut envelopper une sculpture de Karl-Heinz
Diegner ; il faut sans cesse sur le sujet reposer ses yeux ; il faut
la revisiter plusieurs fois, sous différents angles.
Entre les doigts.
Ses sculptures invitent au toucher, à la caresse,
à l’intimité.
Pétri dans la pierre, l’albâtre, la stéatite ou
le bronze, chaque grain de peau est différent,
chaque réaction sous nos doigts est unique,
chaque frémissement est porteur de fable.
Le regard aigu et les mains talentueuses de Karl-Heinz Diegner leur ont
donné naissance ; c’est sous les nôtres qu’elles prennent vie.
Tout acte créateur est don. Celui de Karl-Heinz, particulièrement : avec
ses formes épurées, parfois jusqu’à l’abstraction, il nous livre les
contours
de notre propre imaginaire.
Entre le corps qu’il a visualisé, et celui que nous voyons, il y a l’espace
infini de la représentation et du rêve ; il y a l’imperceptible frontière
entre ses secrètes fascinations et nos propres obsessions ; entre les
langueurs de la vie et les étendues de l’éternité.
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Zwischen den Formen.
Jeder Versuch der Definition, ob ein Bild oder eine
Skulptur abstrakt oder figuratif sei, ist vergeblich. «Alles ist Abstrakion
oder Figuration, denn Kunst ist nur dann Kunst, wenn sich in ihr die
Präsenz des Schaffenden offenbart». Diese Aussage lässt sich deckungsgleich
auf die Skulpturen von Karl-Heinz Diegner übertragen. Der weibliche Körper
ist sicherlich die prinzipielle Quelle seiner Inspiration, aber es ist
weniger der Körper der ihn interessiert, als das, was er andeutet und
in uns bewegen will : Emotion, Lust, Zärtlichkeit oder Angst? Es ist
nicht die Obszession des weiblichen Körpers, sondern die Feminität, oder
noch präziser die Sensualität. Seine Skulpturen haben eine Seele, aber
keines seiner Werke hat ein Gesicht; würde dass zuviel aussagen? Unter
seinen schaffenden Händen erheben sich die steinernen Körper, die Glieder
spannen sich, gerundete Hüften ergeben und entdecken sich ; Antasten
sublimiert sie.
Zwischen den Zeilen.
Normalerweise gibt man dem Schriftsteller Gelegenheit, bei einer seiner
Lesungen, das Essentielle zu entdecken, das die Worte nicht preisgeben.
Auch hier erscheint mir, dass das Prinzip «Zwischen den Zeilen», direkt
auf die Arbeiten von Karl-Heinz Diegner anwendbar ist. Die gezogenen
Fluchtlinien, die einladenden Kurven geben nicht gleich ihr Geheimnis
preis : Im Zu-
sammenspiel mit dem Licht, dem Einfallwinkel und den Spiegelungen, erscheinen
uns sonst nicht zu erahnende Formen, variable Volumina öffnen sich uns,
die Dynamik wird als Bewegung wahrnehmbar, eine vergängliche aber bereichernde
Begegnung.
Anders gesagt, ein einziger Blick kann die Skulpturen von Karl-Heinz
Diegner nicht erkennen und erfassen; man muss die Augen auf ihnen ruhen
lassen, nachhaltig, mehrmals, unter
verschiedenen Blickwinkeln.
Zwischen den Händen.
Seine Skulpturen laden geradezu zum Antasten, zum Fühlen, zur Intimität
ein.
Die Materialität von Marmor, Alabaster, Stéatit oder Bronze wird spürbar,
jedes Berühren und Antasten ist einzigartig und bewegt uns tief im Inneren.
Unter dem kreativem Auge und den talentierten Händen von Karl-Heinz Diegner
entstanden die Skulpturen, die durch unseren Blick zum Leben erweckt
werden.
Jeder Akt von Kreativität ist eine Gabe, speziell der von Karl-Heinz.
Mit seinen bis zur Abstraktion geleuterten Formen, erlaubt er uns bis
zu den Grenzen seiner eigenen Bilder-und Gedankenwelt vorzustossen.
Zwischen dem Volumen, das er visualisiert, und dem was wir sehen, entfaltet
sich der unendliche Raum zwischen Repräsentation und Traumwelt, die kaum
wahrnehmbaren Grenzen zwischen seinen geheimen Faszinationen und unseren
eigenen Obszessionen, zwischen den Zeiten des Lebens und dem Unendlichen
der Ewigkeit. |